La COP28 aura lieu aux Émirats arabes unis, du 30 novembre au 12 décembre, dans un contexte marqué par les doutes sur la capacité de la présidence à porter un accord ambitieux.
Car l’enjeu est bien de sauver les objectifs de l’Accord de Paris : contenir le réchauffement « bien en deçà de 2°C » par rapport à la période préindustrielle, voire 1,5°C. Cette COP sera aussi l’occasion de dresser le premier bilan mondial de l’Accord de Paris, et de concrétiser les acquis de la COP27, notamment sur les pertes et dommages.
Quel impact véritable ?
Si l’attribution de l’organisation de la COP28 aux Émirats arabes unis (EAU) a suscité des questions et des froncements de sourcils, la question demeure : dans quelle mesure la présidence et le lieu de la conférence influent-ils sur les négociations et leurs résultats ? Par le passé, la présidence a été en mesure d’influencer les thèmes inscrits à l’ordre du jour officiel.
En 2017 par exemple, la COP23, sous la présidence fidjienne, a été surnommée la « COP des îles » pour avoir mis en avant la vulnérabilité des petits États insulaires, ou les tentatives chiliennes de faire de la COP25 la « COP bleue » en y intégrant les questions relatives aux océans. A posteriori, la COP27 en Égypte peut être qualifiée de « COP des pertes et dommages », suite à la création historique de ce nouveau fonds.
Dans cette optique, le choix d’un pays qui tire 55 % de son budget des revenus de l’exploitation d’hydrocarbures et qui figure parmi les plus grands producteurs et exportateurs de pétrole au monde fait débat. Les EAU sont également le sixième pays le plus émetteur de CO2, rapporté à sa population : 22 tCO2/hab en 2021.
Le passé a montré que le choix de la ville hôte pèse sur l’ambiance à la table des négociations : l’échec relatif de la COP15 à Copenhague a été en partie attribué à l’inconfort du lieu et au froid. Le choix de Dubaï, et plus précisément de l’Expo City construite pour l’exposition universelle de 2020, est présenté par les Émirats comme une preuve d’engagement en faveur de la durabilité en réutilisant un site existant.
Les pavillons des États et des organisations de la société civile seront d’ailleurs accueillis dans des bâtiments en dur, plutôt que sous la forme habituelle de stands temporaires. Mais, en parallèle, la ville de Dubaï menace de quitter le C40, un réseau international de mégapoles engagées pour le climat, en raison de l’ambition jugée trop élevée des objectifs d’atténuation requis à l’horizon 2030.
La désignation du Sultan Ahmed Al Jaber pour présider la COP28 émiratie fait également polémique, notamment auprès des organisations environnementales. Ministre émirati de l’Industrie et des Technologies avancées, patron du géant pétrolier ADNOC (Abu Dhabi National Oil Company), il est aussi le fondateur de Masdar, une entreprise publique d’énergies renouvelables basée à Abou Dhabi.
C’est d’ailleurs l’un des arguments mis en avant par les EAU pour promouvoir l’accueil de la COP28. Sa connaissance approfondie des systèmes énergétiques pourrait constituer un atout en vue de trouver « des solutions réalistes, pratiques et pragmatiques pour accélérer la transition énergétique mondiale », affirme Al Jaber dans une tribune publiée en France dans le Journal du Dimanche.
Les EAU ont été le premier pays du Moyen-Orient à adopter une Stratégie nationale “Net Zero by 2050” en 2021. La nouvelle CDN des EAU fixe comme objectif de réduire les émissions annuelles à 185 MtCO2e avant 2030 (hors usages des sols), soit une ambition accrue de 14 % par rapport à l’objectif précédent fixé en 2022 et de 13 % par rapport aux niveaux d’émissions actuels.
Cette CDN plus solide, a conduit Climate Action Tracker à rehausser la note globale des EAU de « très insuffisant » à « insuffisant », c’est-à-dire alignée sur une trajectoire de réchauffement à +3°C. Toutefois, l’analyse souligne que les politiques climatiques des EAU doivent encore être améliorées de manière substantielle pour que le pays soit en mesure d’atteindre son nouvel objectif.
Depuis l’Accord de Paris, les EAU sont le seul pays au monde, avec la Biélorussie, à avoir rejoint le club fermé des pays qui disposent de l’énergie nucléaire civile.
Les EAU investissent beaucoup dans le solaire et sont en bonne voie pour atteindre leur objectif de 30 % de capacité énergétique « propre » (clean energy) d’ici 2030 et de 50 % d’ici 2050, mais de tels développements n’inverseront pas l’augmentation des émissions. Énergies “propres” plutôt que “renouvelables” ou “bas carbone” :
Ces termes ouvrent la voie à des technologies à faible maturité mais capables de maintenir en vie l’industrie pétro gazière, comme la captation et stockage du CO2 (CSC) ou la production d’hydrogène et d’ammoniac.
En raison de tous ces éléments, les experts et les ONG seront particulièrement attentifs cette année à l’influence exercée par les industries pétrolières et gazières après Charm el-Cheikh.
La dernière COP en Egypte avait déjà beaucoup fait parler d’elle en réunissant un nombre record de lobbyistes des énergies fossiles. 636 lobbyistes défendant le charbon, le pétrole et le gaz, soit davantage que n’importe quelle délégation nationale… à l’exception de celle des EAU.
La COP28, un moment charnière du cycle de l’ambition
Indépendamment des priorités de la présidence, plusieurs sujets seront mis sur la table des négociations lors de la COP28 du 30 novembre au 12 décembre à Dubaï.
Huit ans après la COP21, le premier bilan mondial (Global Stocktake) marquera un moment charnière du cycle de l’ambition de l’Accord de Paris.
Les Parties aborderont également la question de la transition vers une économie durable, avec la sortie des énergies fossiles et le triplement des énergies renouvelables ainsi que les besoins et réparations des pays les plus vulnérables, impactés par la crise climatique.
Le premier bilan mondial de l’action climatique
La COP28 marquera le point d’orgue des travaux du bilan mondial – un exercice lancé en 2021-, moment charnière du cycle de l’ambition, afin de passer en revue et d’évaluer les progrès collectifs accomplis dans la réalisation de l’accord.
Cette ambition n’est pas limitée à la réduction des émissions, mais concerne aussi l’adaptation, les moyens de mise en œuvre et l’équité (ce qui inclut les questions financières et la transition juste).
Les conclusions de ce premier bilan mondial seront probablement sans surprise : les engagements des États ne sont pas à la hauteur des objectifs de l’Accord de Paris, et les Parties seront encouragées à renforcer leur ambition et à augmenter l’échelle de leur action.
Alors que les émissions mondiales doivent baisser de 43 % entre 2019 et 2030 pour rester sous le seuil de 1,5°C, selon le GIEC, les engagements actuels des 193 Parties à l’Accord de Paris ne permettront de réduire les émissions que de 0,3 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 2019.
Dans son rapport Emissions Gap Report 2022, l’UNEP estime que la mise en œuvre totale des engagements ne limiterait au mieux le réchauffement qu’à 2,4 voire 2,6°C au-dessus des moyennes préindustrielles.
Les deux organes subsidiaires de la CCNUCC en charge de l’animation des dialogues techniques qui ont jalonné la préparation du bilan mondial ont condensé les résultats dans un rapport publié début septembre 2023.
Au terme de la COP28, le bilan mondial devrait donner lieu au vote d’une décision par les Parties, ainsi qu’à une déclaration politique, sans vote.
La sortie des énergies fossiles et le triplement des énergies renouvelables
C’est un marronnier des COP qui se succèdent, et la prochaine édition ne fait pas exception : l’élimination (phase out) ou la réduction progressive (phase down) des énergies fossiles sera au cœur des attentes de la société civile.
Après avoir entretenu l’idée de réduire les émissions d’origine fossile plutôt que de s’attaquer directement à la production des combustibles (via l’efficacité énergétique ou la capture du CO2 par exemple), M. Al Jaber, fidèle à sa double-casquette, s’est dit convaincu que la réduction progressive (phase down) était “inévitable”.
Mais cette transition, ajoute-t-il, est subordonnée à la construction d’un nouveau système énergétique. Une position en adéquation avec la politique de diversification engagée depuis quelques années par l’économie émirati et les puissances pétrolières du Golfe, dont le corollaire est l’accélération du déploiement des énergies renouvelables.
C’est pourquoi l’autre grand engagement de la présidence pour la COP28 vise à faire adopter un objectif de triplement du taux annuel de déploiement des énergies renouvelables d’ici 2030.
L’UE appelle à un engagement “volontaire et non contraignant”, laissant ainsi la liberté aux États. La croissance actuelle des énergies renouvelables est déjà galopante, avec un doublement de l’éolien et un quadruplement du solaire dans le mix depuis 2015.
Les ajouts annuels de capacités renouvelables ont dépassé les fossiles depuis 2012, et leur sont désormais cinq fois supérieurs. Seul le maintien des investissements dans la construction de nouvelles capacités énergies fossiles ralentit la progression des énergies “bas carbone” dans le mix électrique mondial (38 % en 2022). La tendance est donc plutôt à l’accumulation plutôt qu’à la transition.
Frans Timmermans, ancien commissaire européen à l’Environnement, a présenté la position de l’Union européenne pour la COP28 pour qu’un engagement mondial soit pris en faveur de l’élimination progressive des combustibles fossiles.
Il a clairement mis aussi des limites à l’utilisation du captage et stockage du carbone (CSC). L’usage du terme combustibles fossiles “toujours aussi intenses” (unabated), c’est-à-dire non adossés à des dispositifs de captage ou de stockage de carbone, sera d’ailleurs au cœur des débats de la COP28 :
La présidence émiratie de la COP28 appelant de son côté à une transition énergétique accélérée s’appuyant sur des dispositifs de captage et de stockage du CO2.
Aujourd’hui, la filière CSC révèle d’ailleurs une forte dépendance aux industries fossiles. Historiquement, la majorité des projets de CSC ont été financés grâce à la récupération assistée de pétrole (Enhanced Oil Recovery – EOR) : 20 des 30 sites opérationnels stockent leur carbone dans des puits de pétrole pour en prolonger la durée de vie, atténuant de fait la contribution réelle des CSC aux efforts mondiaux d’atténuation.
À l’échelle mondiale, il n’existe d’ailleurs qu’une seule installation de CSC en sortie de site industriel… aux Émirats arabes unis : Abu Dhabi CCS capture 90 % (0,8 Mtpa) d’une aciérie à Mussafah, pour l’injecter 43 km plus loin dans des champs pétroliers.
La mise en œuvre du mécanisme de financement des pertes et dommages
Créé lors de la COP27 en 2022, le fonds de financement des pertes et préjudices aux pays vulnérables durement touchés par les catastrophes climatiques, présente une grande avancée pour l’action climat. Mais de nombreux points restent à préciser, en particulier sur les sources de financement du fonds.
Que les contributions se présentent sous forme de dons, de subventions ou de prêts, est un point épineux qui aura des conséquences sur la dette des pays bénéficiaires.
Les bénéficiaires ne sont pas encore précisément identifiés non plus : les pays en développement, avec un accent mis sur les pays les plus vulnérables, sont éligibles, mais la définition de la notion de vulnérabilité climatique et la détermination d’un seuil de vulnérabilité restent à déterminer.
Un pays comme la Chine se situe-t-il du côté des contributeurs ou des bénéficiaires ? La résolution de cette question reste libre, le fonds de financement des pertes et préjudices ayant été placé sous l’égide de l’Accord de Paris qui, contrairement à la CCNUCC et au Protocole de Kyoto, n’inclut pas la distinction entre pays développé (Annexe 1) et en développement (non-Annexe 1).
Comme l’a montré la discussion à Bonn, précurseur de ce qui se passera à la COP, l’épineux sujet des flux financiers Nord-Sud pèse lourdement sur les négociations : aussi bien dans le cas des pertes et dommages, que de l’adaptation, de l’atténuation ou de la transition énergétique.