Conférences, ateliers, séminaires, points de presse et diverses manifestations du même ordre ont en commun d’être des sources d’informations desquelles la plupart des journalistes puisent l’essentiel des éléments pour la rédaction de leurs articles ou de comptes rendus pour leurs médias respectifs. Ces évènements sont aussi des moments de contacts entre journalistes et personnes ressources. L’apparition de la COVID-19 a cassé cette dynamique. Au-delà des infos, ce sont surtout des avantages qui se sont envolés. Adieu perdiems, frais de transport et autres, tirés de ces occasions par les journalistes. Place donc à la nouvelle donne sanitaire et aux gestes barrières. Du coup, les acteurs des médias n’ont plus que les webinaires comme outil essentiel pour comprendre ce qui arrive à l’humanité et pour continuer à faire leur travail sans risque. Plongée dans l’univers de la presse béninoise en temps de COVID.
Didier Hubert MADAFIME, Correspondant à Cotonou du journal en ligne Africa Climate Reports.
Les rédactions, au sens de lieux de travail, constituent non seulement des espaces où les journalistes viennent s’acquitter de leurs obligations professionnelles mais elles sont aussi leurs milieux de vie pratiquement.
Ils y passent le clair de leur temps, bien plus que le temps passé, chacun chez soi. De cette proximité, est né un certain nombre de comportements propres à des endroits où cohabitent plusieurs personnes à la fois. Taquineries, petites manies, liens d’amitié voire d’intimité ont forgé l’histoire du vivre-ensemble dans les rédactions.
C’est sans compter et sans crainte que les journalistes échangent, entre eux, des bouts de pains ou de galettes.
C’est ainsi qu’un journaliste peut, à l’heure du déjeuner, se servir quelques bouchées dans le plat de son collègue sans penser se mettre en danger. Stylos et papiers qui se baladent d’une main à une autre, bisous matinaux, accolades et rigolades font partie du quotidien des journalistes dans une rédaction.
C’est ce vivre-ensemble que le nouveau coronavirus est venu mettre à mal un matin.
COVID-19 : Une chape de plomb sur les rédactions
Joseph Perzo Anago est le Directeur de Publication du journal « LA DEPECHE », un quotidien béninois paraissant à Cotonou. Il assure être passé par toutes les émotions au début de la pandémie.
« Le clavier et la souris qu’on a du mal à toucher après utilisation par un autre collègue, la peur et la suspicion qu’un collègue peut à tout moment atterrir dans la rédaction avec le virus », et ceci, en dépit de toutes les dispositions prises à savoir : le port de masque, le gel alcoolique, la distanciation sociale et le dispositif de lavage des mains.
« Je ne sortais même plus de mon bureau » confie le Directeur de Publication de LA DEPECHE.
Il explique que certains jours, il a l’impression de se mettre en danger parce qu’en tant que Directeur de Publication, il lui revient la tâche de corriger les papiers écrits par ses collaborateurs. Pour ça, souligne-t-il, le gant a été exigé pour tout le monde. Il a aussi supprimé le terrain pour tous ses journalistes.
D’ailleurs, les activités étant devenues rares, la seule option pour que le journal puisse paraître quotidiennement est le recours à l’internet et au téléphone afin d’assurer la collecte des données, a indiqué M. Perzo Anago.
A Radio Tokpa, une radio privée à Cotonou, la première décision prise par les responsables pour faire face à la pandémie a été de libérer momentanément les stagiaires, se rappelle un journaliste de ce média qui a requis l’anonymat.
Malgré le dispositif sanitaire, il affirme ne pas être totalement à l’aise à cause de l’usage commun du matériel de travail. L’enregistreur, par exemple, est le même utilisé par plusieurs journalistes à la fois, sans qu’il soit possible de le désinfecter régulièrement. Il y avait vraiment de quoi avoir peur.
Les informations qui arrivaient de partout et surtout les décomptes macabres liés à la COVID-19, ont réussi à ébranler la quiétude dans les rédactions. La détection d’un cas parmi les cadreurs à la télévision nationale du Bénin a poussé à renforcer suffisamment les gestes barrières au sein de cette chaîne du Service public.
Les activités étant en berne, les journalistes qui ne sont pas en position de travail sont tout simplement priés de rester chez eux. Cette atmosphère de travail est presque identique d’une rédaction à une autre, au Bénin mais certainement aussi au niveau des organes de presse des autres pays, notamment de la sous-région Ouest-Africaine.
COVID 19-ODD3 : Bonne santé et bien-être mis sous boisseau
Les journalistes connaissent bien le VIH-SIDA pour avoir consacré une partie de leur temps à sensibiliser contre ce fléau. Ils sont également présents à l’occasion des pandémies comme la fière ebola, la tuberculose, ou encore la fièvre lassa. Ils alertent régulièrement sur les cas de méningite et du paludisme.
Ces infections sont toutes des problèmes de santé publique mais la CODID-19 est un cran au-dessus, à cause de sa virulence et de ses impacts dans tous les secteurs de la vie. La génération actuelle de journalistes n’a jamais été confrontée à une crise sanitaire d’une telle ampleur. Forcément, cela a brouillé le message dès les premières heures de la pandémie.
Mieux, les tergiversations sur l’origine du virus, les premiers décès enregistrés et le frémissement dans la riposte à apporter à la crise ont déteint sur le travail des journalistes qui, eux aussi, sont allés dans tous les sens au début de la maladie.
Pendant tout ce temps, malheureusement, l’Objectif de Développement Durable N°3 intitulé « Bonne santé et bien-être » a très peu ou n’a pas du tout été évoqué, ne serait-ce que, pour mettre en relief le lien entre la COVID-19 et l’ODD3 dont le but est clairement indiqué : « mettre fin à l’épidémie du sida, à la tuberculose, au paludisme, et aux maladies tropicales négligées et combattre l’hépatite, les maladies transmises par l’eau et autres maladies transmissibles ».
Cela aurait eu le mérite, si les journalistes africains avaient été formés sur les Objectifs de Développement Durable et surtout sur l’ODD3, d’avoir des éléments à leur disposition en vue de conduire les premières alertes.
Heureusement, le Forum de Reportage sur la Crise Sanitaire Mondiale, lancé dans la foulée, est venu fournir les ressources dont les journalistes, surtout francophones, ont besoin pour couvrir efficacement l’actualité liée au nouveau coronavirus.
A travers une série de webinaires, ce forum a permis de resserrer les liens entre hommes des médias désireux d’approfondir leur compréhension des implications de la crise en cours. « COVID-19 : Comment bien écrire un article sur la science et la santé ? », c’est le thème du treizième webinaire qui a donné les clefs aux journalistes pour mieux rédiger des articles scientifiques.
La science, il faut l’avouer, n’est pas toujours la tasse de thé des journalistes mais elle a besoin, tout de même, des journalistes pour être bien comprise des populations. C’est d’ailleurs pour cela que l’animateur de ce webinaire, Gervais Mbarga, Professeur associé à la Chaire « Journalisme scientifique » de l’Université de Laval à Québec au Canada, a mis l’accent sur les principes fondamentaux pour écrire un article sur la science ou la santé. M. Mbarga a expliqué que pour bien écrire un article scientifique, le journaliste doit avoir plusieurs attitudes.
D’abord suivre l’actualité, ensuite lire les articles scientifiques ou savants puis établir des contacts réguliers avec les scientifiques. Il a, à cette occasion, décliné les composantes de la structuration d’un article scientifique. Ce sont l’introduction, le matériel et la méthode, les résultats, les discussions et la conclusion.
De webinaires en webinaires : L’enjeu
Plus d’une douzaine de webinaires déjà et c’est parti pour longtemps. L’initiative du Forum de Reportage sur la Crise sanitaire Mondiale a forcément compté dans les résultats obtenus par les pays du continent africain s’agissant de la lutte contre le nouveau coronavirus ; continent à qui la terre entière avait promis une hécatombe du fait de la COVID-19.
Comme l’a souligné lors du quatorzième webinaire, Idrissa Sane, journaliste spécialiste des questions de sciences et Chef du Service Santé et Environnement au quotidien Le Soleil, la bonne gestion de la pandémie au Sénégal ne s’est pas faite sans les journalistes. Ils ont, selon lui, pris leur part de responsabilité.
L’un dans l’autre, si on retient ce que les scientifiques disent, à savoir que l’humanité doit se préparer à faire face régulièrement aux pandémies, il est évident que les rédactions des médias n’auront plus les mêmes allures qu’avant.
Le masque, la distanciation sociale, le lavage des mains etc… le risque que ces éléments fassent partie de la vie des journalistes et déterminent leurs conditions de travail n’est pas à écarter, avec des conséquences énormes sur le vivre-ensemble dans les rédactions et une obligation pour les hommes de médias de se frotter de plus en plus aux thématiques concernant la science et la santé afin de rendre accessibles, des savoirs complexes.