L’abeille, permet la fabrication du miel. On a tendance à croire que cette espèce profite unilatéralement de la forêt pour produire du miel sans contrepartie. La forêt, en effet, a elle aussi besoin de l’abeille pour sa bonne santé. Au-delà des services inestimables que l’abeille rend à l’humanité, elle est, à maints égards, utile d’un autre point de vue. Elle permet à la forêt d’assurer, à la fois son rôle écologique et climatique. Pour le profane, tout cela peut bien paraitre illogique. Comment la forêt et l’abeille ne peuvent-elles se passer l’une de l’autre. Cet article met en lumière la double complicité entre une espèce et un écosystème. L’effort qui est fait au Centre d’Etudes, de Recherches et de Formations en Apiculture Tropicale de Bohicon en République du Bénin offre un bel exemple pour mieux cerner les interactions entre abeille et forêt.
Par Didier Hubert MADAFIME
Au commencement, c’était juste une petite clairière verdoyante, essentiellement constituée d’espèces végétales dont les abeilles et autres pollinisateurs bitunent les fleurs, située, à vol d’oiseau du centre-ville de Bohicon, région du centre-Bénin.
Un espace partagé entre un insectarium et des ruches en bois disposées à même le sol, d’où émergent les bourdonnement et vrombissements des abeilles.
Impossible de se mettre sur leur ligne de vol sans se faire repérer. Ces petites bêtes aux quatre yeux sont redoutables à la vue et deviennent agressives et violentes dès qu’elles repèrent un danger.
Les va-et-vient incessants aux alentours de chaque ruche font croire que chaque colonie dispose de guetteurs qui veillent au grain.
Un environnement idéal fouetté de temps à autre par le vent de la saison des pluies, beau, propre, vivant permettant à toutes sortes d’espèces de s’épanouir.
C’est le coin choisi par Camille Tooubi, l’homme au physique d’acteur pour installer son unité spécialisée, le Centre d’Etudes, de Recherches et de Formations en Apiculture Tropicale. Et ce n’est pas par hasard.
Il est lui-même un apiculteur.
En créant çà et là quelques ruches, il a fait de la production du miel sa principale vocation qui lui assure des revenus substantiels et une autre, non moins importante, la protection de l’environnement et de la biodiversité.
La forêt au Bénin : un coup de main apicole pour sa restauration
Auparavant, l’abeille se débrouillait toute seule, mais depuis que ses cachettes naturelles et les troncs d’arbres, qui avaient des creux, dans lesquels elles se nichaient ont disparu, les abeilles s’étaient retrouvées dans une situation critique, au point où l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (IUCN) a été obligée de l’inscrire sur la liste des espèces menacées d’extinction.
« Lorsqu’une route est construite, souligne Sarki Yantanou, un autre Expert en apiculture, promoteur du Centre apicole et éco touristique « le rucher » de Komiguéa, au nord du Bénin, et Président de la Plateforme national des acteurs de la filière apicole du Bénin, c’est beaucoup d’arbres qui sont coupés».
La ruche de facto devient un excellent refuge pour répondre, à la fois, aux besoins des abeilles et par ricochet à ceux des écosystèmes forestiers.
Une assertion, confirmée par Armel Djenontin, Maître de Conférences en Entomologie Médicale, Enseignant-Chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi, pour qui « l’abeille est une partie intégrante de la forêt. Pour son alimentation et donc pour sa survie, l’abeille a besoin du Nectar des plantes de la forêt. Cette dernière ne peut pas se brouiller avec l’abeille, car elle y joue un rôle crucial», relève l’entomologiste.
L’apiculture : un outil de gestion des gaz à effet de serre
Dans un pays comme le Bénin qui a reconnu dans sa troisième communication sur les changements climatiques et au regard des dispositions de l’Accord de Paris sur le Climat, comme étant un « pays émetteur », c’est-à-dire, que la capacité d’absorption des gaz à effet de serre de ces forêts est faible, l’intervention humaine à travers les poses des ruches dans les forêts, fait observer, Monsieur Yantannou, est tout à fait salutaire.
Elle permet de sauver, non seulement les abeilles mais aussi les forêts et sa biodiversité.
Il cite son propre exemple. « Mon centre était un champ de coton lorsque je l’avais acheté en 1989. J’ai fait installer quelques ruches et j’ai mis la parcelle en défens. Nous sommes en 2024 et aujourd’hui nous avons une belle forêt reconstituée ».
Or, qui dit coton, dit forcément déforestation et coupes anarchique du bois. L’or blanc, tel qu’il est produit aujourd’hui au Bénin figure en bonne position des causes de la déforestation, surtout que le Bénin conserve depuis quelques années dans la sous-région Ouest-Africaine le lead en matière de production de cette culture de rente.
L’ONG internationale Greenpeace, qui fait de la lutte contre la déforestation l’un de ses combats, considère que « la déforestation sape la capacité des forêts à absorber le carbone de l’atmosphère. En effet, les forêts absorbent chaque année, neuf (09) milliards de CO2, soit près de 20% des émissions des gaz à effet de serre ».
La plupart des forêts béninoises, notamment, celle de la Lama dans la localité d’Allda, au sud-est de Cotonou, ont donc besoin de cette aide extérieure que procurent les abeilles pour jouer ce rôle crucial, celui de la régulation du climat.
La production du miel : un gain pour la forêt
Une forêt est un écosystème relativement étendu constitué aussi bien par les arbres, arbustes et arbrisseaux que par l’ensemble des autres espèces animales et végétales qui lui sont associés et avec lesquelles ils vivent en interaction.
Mais, l’augmentation des besoins en produits agricoles, selon Monsieur Djenotin, entomologiste, a conduit à « un démentiellement des forêts qui sont les habitats naturelles des abeilles », explique l’intéressé.
Il ne fait aucun doute que des savanes boisées aux forêts tropicales, nombreux sont les arbres qui ne peuvent jamais se développer sans l’intervention de pollinisateurs comme les abeilles.
Il est souvent cité le cas des arbres fruitiers, notamment, le néré, le karité, présents dans l’écosystème forestier du Bénin. Les ruches du Centre d’Etudes, de Recherches et de formations en Apiculture Tropicale offrent ainsi un nouveau souffle à la forêt classée de la Lama.
Cette forêt, classée en 1946, comportait à l’origine davantage de forêt naturelle, mais entre 1946 et 1986, l’homme en a détruit une grande partie par des défrichements et des feux de brousse.
C’est la Direction des Eaux, Forêts et Chasse qui doit apprécier ce coup de main apicole venu d’ailleurs. « L’apiculture est un investissement, celui qui le fait », de l’avis du Conservateur Adjoint de 2ème Classe Ibrahim Djabarou, « veille à ce que son investissement ne parte pas en fumée ».
Tout apiculteur, quel qu’il soit, développe des stratégies pour faire comprendre aux populations riveraines des forêts et surtout à ceux qui font de la carbonisation, le sens de l’enjeu, c’est-à-dire, le lien entre la production du miel et la forêt.
Camille Tooubi, explique avoir fourni aux populations riveraines de la Lama des fruitiers et des espèces mellifères comme élément de motivation, même si l’argent reste leur premier souci.
Cette situation n’est pas unique à la forêt classée de la Lama.
Dimon Blaise Olayé, apiculteur formateur qui opère dans la forêt de TTK, Tchaourou, Toui, Kilibo, dans la commune de Ouessè, au centre-nord du Bénin connait bien cette mentalité.
Or, lorsqu’on met en face à face les avantages de la carbonisation et ceux de la production du miel, il n’y a pas de comparaison à faire.
L’un d’entre eux, qui a requis l’anonymat, explique, je cite, « avec le charbon, on gagne une seule fois, tandis que la production du miel assure un revenu permanent sans aucun impact à la forêt », fin de citation.
Le gouvernement béninois, sous financement de la Banque Mondiale forme à l’auto-emploi des jeunes dans le domaine de la production du miel et voudrait bien en faire un pilier pour soigner la bonne santé de ses forêts.