« Comment être heureux, si on ne possède pas un champ de néré ? », s’interrogeait Ferdinand Wantchékon, Commandant à la retraite des Eaux, Forêts et Chasse, au cours d’un échange sur l’avenir de cette espèce dans le département du Zou. « Nous avons observé, il n’existe plus de plantations de néré, juste quelques plants distribués dans l’espace et puis avec le phénomène que ce n’est pas planté, et que c’est naturel avec des coupes pour la fabrication des mortiers et le passage répétitif des feux de végétation, on risque de ne plus manger afitin sur le plateau d’Abomey ».
A une certaine époque, la richesse et le rang social d’un individu sur le plateau d’Abomey, se mesuraient à son champ de néré ou de palmier à huile, si bien qu’en posséder un était alors quasiment un projet de vie.
Des chansons et anecdotes continuent de le mentionner encore de nos jours. La présence de l’arbre de néré sur le plateau d’Abomey n’est donc pas fortuite.
Dans le Bénin écologique, chaque région est caractérisée par la présence, au sein de son écosystème naturel, d’un arbre qui est une référence pour le milieu en plus d’être un marqueur social, eu égard à ses propriétés et aux utilisations qui en sont faites.
C’est ainsi que dans la partie nord du Bénin, le karité est le roi des espèces végétales. Sur la côte, pendant ce temps, les raphias et les cocotiers ainsi que le caîlcédrat dominent le patrimoine naturel tandis qu’au Sud-Est du Bénin, c’est-à-dire de la latitude de Porto-Novo jusqu’à Kétou, la nature a doté cette région de palmier à huile largement cultivé pour ses fruits et ses graines riches en huile à usage alimentaire et industriel.
Même avec son déclin, le samba continue d’être le symbole des régions du Sud-Ouest du Bénin. Quant au centre du Bénin, notamment le plateau d’Abomey, l‘arbre de néré est une richesse. Il est à la fois un arbre fruitier et un arbre médicinal.
Afitin, la moutarde locale consommée aujourd’hui par une grande partie des Béninois et au-delà des frontières du Bénin, est fabriquée à partir de ses graines.
Sauf qu’aujourd’hui, il ne reste que quelques pieds de l’arbre de néré sur le plateau d’Abomey. L’espèce a été décimée pour diverses raisons. Une situation qui met en péril les activités de production du afitin, seule activité génératrice de revenus pour une grande majorité des femmes du département du ZOU.
Afitin : la première victime
L’arbre de néré renvoie désormais au passé sur le plateau d’Abomey dans le centre du Bénin. Sa population a commencé à dépérir dès la découverte de ses multiples vertus. Ses feuilles, son écorce et ses racines sont utilisées dans la médecine traditionnelle contre divers maux. A ce qu’il paraît, le bois issu de l’arbre de néré est de très bonne qualité pour la fabrication de mortiers et de pilons.
Avant l’arrivée des bouillons cubes qui posent de nos jours un problème de santé publique, la moutarde locale afitin servait déjà, depuis les temps anciens, à relever le goût de certains repas. La consommation régulière de ce produit, selon la FAO (Organisation des Nations-Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture), serait un bon moyen de prévenir voire de traiter l’hypertension artérielle.
La disparition progressive des parcs naturels de l’arbre de néré est donc préjudiciable à plusieurs égards. Principalement, l’accès aux graines de néré, matière première pour la production du afitin, est devenu problématique.
Les femmes qui sont dans cette activité génératrice de revenus, dont
les principaux foyers sont disséminés sur tout le territoire du plateau d’Abomey, sont contraintes de s’approvisionner chez les grossistes qui se ravitaillent, eux-mêmes, sur les différents marchés du Nord-Bénin, à plusieurs centaines de km des lieux de production du afitin.
Cela, bien évidemment, va avec le renchérissement du prix d’un sac de 120 Kg. Cédé aujourd’hui à 60.000 frs CFA, il aurait coûté 50% moins cher s’il avait été acheté sur place, se désole Jeanne Houlomè, productrice de afitin à Kpatalokoli, un village situé dans la banlieue de Bohicon. A partir de ce moment, « le afitin traditionnel » va connaître maintes péripéties.
Par exemple, certaines productrices se sont mises à substituer la graine de soja à la graine de néré au grand dam des consommateurs. Jeanne Houlomè qui tient cette activité de sa mère, déplore cette tricherie.
« Je continue de faire comme me l’a enseigné ma mère et je ne compte pas changer. Je transmets de façon intacte ce savoir-faire acquis à mes sœurs et à mes belles-filles. Ici, on n’a pas une autre activité que celle de la production du afintin ».
Le plus grave, c’est le procédé qui consiste à mélanger bouillons cubes et afitin. Il se susurre que cette pratique est à attribuer à certaines productrices qui manquent de savoir-faire en la matière. En un mot, au train où va la production, avec l’introduction frauduleuse de certains éléments inappropriés, « le afitin traditionnel » est en grand danger.
La lassitude des consommateurs face aux méthodes douteuses sus-évoquées pourrait avoir des impacts irréversibles sur la chaîne de production et mettre un coup d’arrêt à l’autonomisation des productrices. Ces dernières, dont les bénéfices servent à faire face aux charges familiales (popote, soins de santé des enfants, scolarité etc..), risquent de replonger dans la précarité si les consommateurs tournent le dos à la moutarde locale.
Pas épargné non plus, l’écosystème naturel
La disparition des parcs naturels de néré n’a pas fait que du mal à la moutarde afitin, elle a également éprouvé le patrimoine naturel dans la région. « Vous trouvez un arbre aujourd’hui celui qui l’a coupé, vous ne savez pas», s’indigne Emile Kpoton, Directeur du Cercle d’Appui pour un développement durable, une ONG qui accompagne les femmes productrices de afitin dans l’arrondissement de Saclo, dans la commune de Bohicon.
« Comme le néré a pratiquement disparu sur le plateau, les femmes sont obligées d’aller acheter les grines auprès des commerçants qui vont se ravitailler au nord, et le parc du nord aussi n’est pas éternel, ça peut disparaitre d’un jour à l’autre. Et si ça disparait, c’est que nous risquons de ne plus trouver du afitin. Il faut que les autorités puissent nous aider à conserver cet arbre qui est indispensable. Pour ça, Il faut aussi amener les femmes à s’intéresser au reboisement », exhorte monsieur Kpoton.
L’extension de certains périmètres habités est aussi responsable de la réduction drastique du couvert végétal du plateau d’Abomey dont faisait partie l’arbre de néré. Pourtant, à ce jour, des quartiers entiers continuent de porter des noms qui font référence à cette espèce. C’est le cas de Ahouassa (sous l’arbre de néré) ou de Ahouakanmè (dans la forêt de néré), qui rappelle à suffisance le passé glorieux de l’arbre de néré sur le plateau d’Abomey.
Création des parcs de néré, une réponse à la situation actuelle
Beaucoup de pays dans la sous-région ouest-africaine ont fait cette option. C’est notamment le cas du Burkina-Faso et de la Côte-D’ivoire.
Créer des parcs de néré permettra de pallier plusieurs problèmes et de satisfaire toutes les parties. D’abord, les femmes productrices de afitin qui utilisent les graines de néré comme matières premières ; ensuite, les fabricants de mortiers qui adorent le bois de néré pour sa qualité et enfin, ceux qui ont recours à l’arbre de néré à des fins médicinales.
Il y va plus globalement du bon maintien de l’environnement du plateau d’Abomey, de la stabilisation de cette région menacée par les inondations cycliques à chaque saison des pluies et de la lutte contre l’érosion hydrique qui défigure la zone par endroits.
Les parcs de néré peuvent, par ailleurs, être une parade contre les grands vents qui commencent à se faire de plus en plus récurrents, avec un effet certain sur le réchauffement climatique. Etant une culture pérenne, le néré peut bien faire oublier la production du coton.
Il faut enfin donner un contenu à la moutarde locale afitin. Ceux qui le consomment n’ont en réalité aucune idée de l’importance de ce produit dans leurs plats. Ils ne savent pas que ce produit peut valablement remplacer les bouillons cubes.
Mais, bien qu’il soit une alternative à la consommation des bouillons cubes et un élément essentiel dans l’alimentation et la nutrition, les conditions de vie et de travail des productrices ’’d’afitin’’ ne sont guère pris en compte dans aucun plan, ni dans celui de l’Etat ni dans celui des collectivités où sont implantées les foyers de production.
Mis à part quelques ONGs et associations de développement qui s’échinent à les organiser en groupement de femmes productrices d’afitin, cette activité est marginale dans la société béninoise. La preuve, aucun document ne mentionne le nombre exact des productrices d’afitin dans le pays.
Et pour confirmer cette indifférence, un ancien maire, aujourd’hui ministre, me disait lors de ma première enquête, je cite « afitin, je n’en consomme même pas ». Pas important de développer la suite et pourtant, sa commune est l’un des plus gros foyers de production.
D’où la nécessité pour tous les acteurs, à savoir le gouvernement béninois, les bailleurs de fonds, les femmes productrices, les chercheurs, les ONG et associations de développement, de travailler à apporter à ce produit une plus-value. Le afitin est aujourd’hui un produit unique de la cité des rois. On peut en faire désormais un label-Bénin, prisé au-delà de nos frontières.
Une enquête réalisée par Didier Hubert MADAFIME