La conversion des forêts en terres cultivées est aujourd’hui le premier moteur de déforestation. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’Agriculture (FAO), elle est à l’origine d’au moins 50 % de la déforestation mondiale, principalement pour la production de d’huiles de palme et de soja. En Afrique, et plus particulièrement au Cameroun et au Bénin, la culture industrielle du palmier à huile, du soja ainsi que du coton sont en têtes des facteurs de défrichages des forêts. Les superficies occupées par ces cultures sont de loin supérieures à celles occupées par l’agriculture de subsistance. Toute chose qui ne manque pas de provoquer des conflits fonciers entre les communautés villageoises et les agro-industries.
Les populations du village Apouh à Ngog situé dans l’arrondissement d’Edéa 1er, département de la Sanaga-Maritime, région du Littoral du Cameroun, sont toujours sur un pied de guerre avec la Société camerounaise de palmeraies (Socapalm).
L’entreprise a défriché près de 90% de la superficie de ce village, pour la culture du palmier à huile. Une agriculture industrielle qui prive la population locale de terres nécessaires à l’agriculture de subsistance.
« La Socapalm s’est emparée de toutes nos terres. Nos maisons sont entourées par les palmiers à huile. Il n’y a plus d’endroit où nous pouvons cultiver ce que nous allons manger. Sur les quelques rares espaces qui nous restent, les plantains et les tubercules de maniocs sont asséchés par les épandages aériennes de pesticides. Nous sommes au village, mais c’est en ville que nous partons acheter de la nourriture. », s’indigne Félicité Ngon Bissou, présidente de l’Association des femmes riveraines de la Socapalm d’Edéa (AFRISE).
C’est depuis une dizaine d’années que le torchon brule entre agriculture industrielle et agriculture villageoise à Apouh à Ngog. En avril 2023, Sa Majesté Mercure Ditope Lindoume, le chef traditionnel de cette communauté d’environ 300 âmes a été placé en garde à vue administrative, sur instruction de Cyrille Yvan Abondo, le préfet du département de la Sanaga Maritime.
Le chef et ses sujets s’étaient farouchement opposés au replanting des palmiers derrières les habitations. « Nous n’avons pas pour objectif de bloquer les activités de la Socapalm. Nous pensons qu’après plus de 60 années d’expropriation de nos terres, cette entreprise doit libérer ne serait-ce que les alentours de nos maisons, soit une superficie d’environ 250 hectares, afin que nous puissions y produire de quoi manger. », soutient le chef de 2e degré.
Etendue sur 58 063 ha pour ce qui est de son site d’Edéa, la Socapalm est possédée à 67,46% du capital par Socfinaf, filiale camerounaise du groupe Socfin (Société financière des Caoutchoucs), à 22,36% par l’État du Cameroun et le capital restant est coté depuis 2009 à la Bourse des valeurs mobilières de l’Afrique centrale (Bvmac).
Dans une réaction mise à notre disposition, l’entreprise se dédouane de tout accaparement de terres, et dit fonctionner de manière durable, et dans l’intérêt des populations riveraines de ses plantations.
« Nous tenons à rappeler que le légitime propriétaire des terres étant l’État du Cameroun, il est le seul à pouvoir statuer sur la mise à jour des limites des concessions et la Socapalm ne saurait s’accaparer les terres des populations environnantes. De plus, contrairement aux allégations, il n’y a aucun rejet possible des effluents de l’huilerie dans les rivières, et encore moins de dangers environnementaux liés aux épandages aériens. L’entreprise fait l’objet de plusieurs audits annuels de la part de l’organisme de certification, de notre consultant en la matière qui nous accompagne depuis plusieurs années, et bien entendu de la part des autorités : missions du Ministère de l’Environnement, de l’Industrie ou encore de l’Agriculture. », se défend la Socapalm.
Pour l’heure, les habitants d’Apouh à Ngog ne décolèrent pas. Ils doivent se rendre à 7 kilomètres de leurs maisons à travers d’énormes plantations de palmiers, pour pratiquer une agriculture de subsistance sur 150 ha de terres. Ce qui pour eux représente une insulte, face aux 58 063 ha terres occupées par l’agro-industrie.
Dans la région du Sud, une palmeraie grignote 60 000 hectares de forêt
À un vol d’oiseau d’Edéa, nous sommes dans la région du Sud, et plus précisément dans le département de l’Océan. Ici, le rapport de déforestation entre l’agriculture industrielle et l’agriculture de subsistance, est bien plus que d’actualité. Et c’est une fois de plus le palmier à huile qui est au centre des querelles.
Des investisseurs nationaux comptent y produire 180 000 tonnes d’huile de palme par an grâce au projet «Camvert», une plantation de monoculture de palmiers à huile, prévu sur 60 000 hectares (grande comme trois fois la ville de Douala), dans les arrondissements de Campo et de Niete.
À la Direction général de Camvert à Yaoundé la capitale du Cameroun, Mamoudou Bobbo, le Project Manager Officer de l’entreprise nous fait savoir que le projet lancé en 2020 a déjà rasé près de 2000 hectares sur le site Campo, pour le planting de 250 000 plants de palmier à huile.
Une implantation mal vécu par les communautés riveraines du projet, bien que vivant essentiellement de la pêche, de la chasse et de la cueillette. « Dans cette partie détruite par Camvert, on campait pour faire la chasse. On y allait aussi pour récolter du miel. Aujourd’hui, il n’y a plus rien », nous confie Henry Nlema, membre de la communauté des pygmées de Campo.
Pour les quelques rares exploitations d’agriculture familiale qui existent à Campo, le quotidien n’est plus serein. L’implantation de la palmeraie provoque la divagation des animaux sauvages, notamment les éléphants. « Ils attendent la tombée de la nuit pour venir manger les bananiers, maniocs et autres, que nous cultivons derrières nous maisons. Nous sommes vraiment découragés », se désole une quinquagénaire, assise sur un tabouret dans sa cuisine qui lui sert également de salle de séjour.
La reconversion des forêts par la culture industrielle du palmier à huile est d’une ampleur considérable dans le département de l’Océan, région Sud du Cameroun. Dans l’arrondissement de Bipindi des pygmées Bagyeli s’opposent depuis 2018 à un décret présidentiel octroyant 18 000 hectares de leur forêt à Biopalm, une autre société agro-industrielle de palmiers à huile.
Dans la région du centre, une mono culture de 18 700 ha de cannes à sucre
Sa majesté Benoît Bessala Bessala, chef de 2e degré de Nkoteng (municipalité située dans la région du Centre au Cameroun), a le ton amer, quand il parle de l’agro-industrie qui opère dans sa localité depuis 1964.
« Rien ne va. Ça, je ne saurai mâcher mes mots. Le climat n’est pas serien entre nous, populations autochtones et la société sucrière du Cameroun (Sosucam). Les problèmes sont tellement multiples que je ne saurais les énumérer ici. Vous qui venez de Yaoundé, lorsque vous passez par Nanga-Eboko, vous êtes obligé de vous boucher les narines, bien que vous soyez dans la voiture. Notre rivière est totalement polluée. Nous ne pouvons plus avoir du poisson. Aucune ne mesures répertoire. Vous savez, Sosucam, c’est des costauds. Cela veut dire que partout où nous irons nous plaindre, rien de ne sera fait. » s’indigne l’autorité traditionnelle, avant de jeter le regard vers l’horizon, dans un air de désespoir.
Située à 136 Km au Nord – Est de la ville de Yaoundé, la commune de Nkoteng a pour principale activité commerciale l’agriculture, qui occupe plus de 90% de la population active. L’agriculture mécanisée est pratiquée par la Sosucam, entreprise agro industrielle sucrière spécialisée dans la culture et la transformation de la canne à sucre.
Avec des plantations de la canne à sucre s’étendent sur une superficie de près de 18 700 ha (sur deux sites sucriers, celui de MBandjock et celui de NKoteng) pour une production annuelle de près de 105 000 tonnes de sucre, l’entreprise possédée à 74% par le groupe français Somdiaa et à 26% par l’État du Cameroun, emploie 6 000 ouvriers, constitués essentiellement de locaux.
Malgré un impact environnemental dénoncé par les riverains, la société qui est pourtant dotée d’un certificat de conformité environnementale délivré par l’administration, n’est pas la seule à avoir rasé le couvert forestier local pour s’implanter.
À travers une agriculture traditionnelle, pratiquée avec des moyens technologiques rudimentaires, la population villageoise développe des cultures pérennes. C’est le cas de Papa Lucas, un sexagénaire qui possède 15 ha de cacao.
« Avec cette cacaoyère, je dépasse ces fonctionnaires de Yaoundé qui ne foutent rien dans les bureaux » s’en vente-t-il, marchant vers son pick-up, tout en balançant son trousseau de clés. Comme lui, beaucoup d’autres locaux défrichent la forêt, pour cultiver non seulement du cacao, mais aussi du café, et du palmier à huile en pleine introduction dans l’arrondissement, avec déjà plus de 40 hectares mis en place. Selon les chiffres de la délégation du ministère de l’agriculture dans le département de la Haute Sanaga, la production actuelle du cacao oscille entre 25 et 30 tonnes, alors que celle du café avoisine les 7 tonnes.
Quid du Bénin
Au Bénin, les communautés villageoises sont en première ligne de la reconversion des forêts en exploitation agricole. Ici, 54,8% de la population pratique l’agriculture, notamment la culture du coton, pratiqué sur 90% des exploitations agricoles, avec près de 40% des entrées de devises. Le Bénin est le premier producteur de coton en Afrique de l’ouest, avec plus de 730 000 tonnes chaque année.
À la question de savoir, qui de l’agriculture de subsistance ou de celle des cultures de rente, détruit plus la forêt, les acteurs sont unanimes. Ce sont les cultures de rente qui sont responsables de la déforestation au Bénin.
Selon les chiffres du ministère béninois en charge de l’environnement, près de 100 000 ha de forêts sont détruits chaque année pour l’extension des plantations de coton, et dans une moindre mesure, de soja, de riz, de maïs, et de palmier à huile.
Les communes de Banikora et de Kandi, situées respectivement au Nord-Ouest et Nord du Bénin, sont les principaux bassins de production de Coton.
Banikaora, la première commune cotonnière du Bénin
Banikaora est la première commune du Bénin en matière de production du coton. Pour la dernière campagne 2021-2022, cette commune a produit environ 167 296 tonnes de coton soit ¼ de la production nationale, sur une superficie d’environ 140 000 ha.
C’est beaucoup d’espace en thème de superficie et pour le 1er Adjoint au Maire de Banikaora, Sabi Goré Bio Ali, cet espace ne suffit toujours pas. « Nous sommes limités en terme d’espace, parce qu’il y a le parc et la forêt classée de l’Aliborie supérieur, qui nous contraignent à ne pas étendre nos plantations.», explique l’élu local.
Banikora est limitrophe du Parc w et de la forêt classée de l’Alibori supérieur. Mais le statut protégé de ces aires naturelles, ainsi que les dispositions fermes de l’État, les cotonculteurs étendent leurs plantations au-delà des frontières avec les aires protégées.
« Au paravent un agriculture cultivait au trop deux ha. Mais maintenant, compte tenu de l’utilisation des herbicides, chacun va jusqu’à 10 ha, voir même 20 ha. Ce qui nous pousse à détruire la forêt. », reconnait Tamou Chabi, cotonculteur à Banikaora.
Kandi
Kandi couvre une superficie de 3421 Km2 avec une population estimée à 177
683 habitants. La commune occupe chaque année, la deuxième position en matière de production de coton après Banikoara. À l’issue de la campagne 2021-2022, cette commune a produit 68 000 tonnes de coton sur une superficie de 71 000 hectares. Tout comme Banikoara, elle fait partie du département de l’Alibori, la zone agro-écologique du bassin cotonnier.
Ils sont 20 000 à produire le coton à Banikoara, répartis dans 194 Coopératives villageoises des producteurs de coton (CVPC). Comme Banikoara, Kandi fait aussi le soja, le riz, le maïs. Pour le 1er Adjoint au Maire de Kandi, il faut faire une pause dans la production du coton et imaginer autres alternatives pour le développement du Bénin.
« Par le passé, l’on était capable de vous dire que les pluies auront lieu à telle date. Mais aujourd’hui, puisque le couvert végétal n’est pas là, les prévisions météorologiques sont démenties par la réalité sur le terrain. Je penses qu’au niveau où nous sommes, on est obligé de marquer un arrêt, et de penser à une autre pièce de rechange. », confie Seidou Abdou Wahab, 1er Adjoint au maire de Kandi.
La société civile dénonce l’agriculture industrielle
LE RURAL est un groupe de presse agricole basé au Bénin. Il informe depuis quelques années sur les thématiques relatives à l’agriculture, l’agrobusiness, le genre et développement, la recherche et innovation, la santé et nutrition et l’environnement. Pour son directeur général, il n’y a pas de doutes, c’est l’agriculture de rente qui détruit le plus de forêt au Bénin.
« Les cultures de rente sont essentiellement à but commercial. Elles se font sur des grandes superficies, contrairement à l’agriculture de subsistance, qui est destinée à l’alimentation de la famille, et dont les excédents peuvent être vendus pour gérer les autres charges du quotidien. C’est vrai que jusqu’ici, il n’existe pas de chiffres actualisés sur les occupations spatiales de chaque cultures, mais je pense qu’en tête des cultures qui détruisent le plus la forêt, nous avons le coton. Parce que c’est l’une des cultures qui demande qu’on défriche sérieusement le terrain.», explique Djibril Azonsi, directeur général de LE RURAL.
Au Cameroun, Aristide fait partie des acteurs de la société civile engagés dans la lutte contre la déforestation.
« Je dirais sans ambages que c’est l’agriculture industrielle qui détruit plus la forêt. Si vous prenez par exemple la cacaoculture que pratiquent encore certains de nos parents de manière rudimentaire, vous verrez qu’elle ne détruit pas totalement la forêt, car le cacao est cultivé sous ombrage. Et même quand les communautés forestières pratiquent l’agriculture, vous verrez qu’elles réservent toujours des espaces forestiers pour la collecte des produits forestiers non ligneux ou pour la pharmacopée traditionnelle. Hors l’agriculture industrielle procède par un rasage total de la forêt, pour la remplacer par une végétation non naturelle, qui pour le cas du Cameroun, peut être le palmier à huile ou l’hévéa, qui sont les principalement cultivés par les agro-industries. On peut également évoquer la canne à sucre. », explique Aristide Chacgom, coordonnateur Chez Green Development Advocates (GDA).
Les pouvoirs publics préconisent l’agroforesterie
Au Bénin où nous avons pu rencontrer le ministre de l’agriculture, il en ressort une prise de conscience des dégâts forestiers causés tant par les cultures de rente, que par les cultures de subsistance.
« Il est très courant de constater que la reconversion des forêts en terres
agricoles nous pousse petit à petit vers la désertification, ce qui finira par nous affamer. Mais voilà, il faut produire. Je suis d’accord avec vous que l’agriculture familiale, pratiquée sur des petites superficies, cause moins de dégâts aux forêts, semble-t-il, mais ça cause quand même. Car la manière de cultiver, la manière de défricher, les brulis que nous faisons, les arbres que nous incinérons afin que nos ignames reçoivent bien le soleil pour une bonne tubérisation, constitue déjà une déforestation. Le problème n’est pas seulement l’échelle qu’on utilise pour certaines cultures industrielles, mais la méthode. Nous avons démontré à suffisance, depuis près de 30 ans, que pour un champ de cotonnier, lorsque vous avez là-dessus, 40 pieds bien repartis de karité, vous n’affectez pas le rendement. Alors, que faire pour cette logique entre dans les têtes de nos producteurs ? Tout le débat est là. » déclare Gaston Dossouhoui, le ministre béninois de l’agriculture.
Pour le membre du gouvernement l’urgence est de réduire l’impact de l’agriculture sur les forêts, sans toutefois chercher à savoir quel type d’agriculture détruit le plus la nature. Pour concilier la production des aliments et la préservation des forêts, outre l’agroforesterie, le ministère béninois de l’agriculture conseille aux agriculteurs, l’usage des techniques de semis qui ne nécessite pas le remuage des sols.
L’alternance de certaines cultures sur un même sol permet aussi de préserver sa fertilité. C’est le cas entre l’igname, et des cultures locales comme le mucuna et le cajanus cajan.
Fanta Mabo, Didier Madafime et Bernadette Nambou, avec le soutien du Rainforest Jurnalism Fund et le Pulitzer Center