Par Rivonala Razafison à Antananarivo
Madagascar entend désormais faire de la filière bambou un des piliers importants de son développement durable pour réduire la pauvreté des habitants et la forte pression sur les écosystèmes.
L’élaboration de la Politique nationale s’y rapportant a été discutée à Antananarivo les 20-21 octobre sous l’impulsion de l’International Network for Bamboo and Rattan (Inbar) dont le pays est membre depuis 2004, à l’instar de 17 autres en Afrique sub-saharienne.
“De plus en plus d’acteurs à Madagascar sont intéressés à la filière bambou aujourd’hui”, tient à remarquer Njaka Rajaonarison, coordonateur national de cette agence intergouvernementale.
Les actions entreprises sur l’île depuis 2010 vont s’intensifier davantage au cours des prochaines années, à en croire les différentes parties prenantes.
Parlantes
“La filière génère annuellement environ $20 milliards pour la Chine, le pays-locomotive en la matière. Les pays ayant le potentiel comme Madagascar où poussent 32 espèces endémiques des plus de 1 200 connues dans le monde ont intérêt à exploiter leurs ressources”, souligne Lydie Raharimaniraka, le point focal national de l’Inbar.
La Grande Ile s’attend d’ores et déjà à l’accroissement des opportunités d’affaire et de services éco-systémiques à base de bambou avec des soutiens étrangers.
Les acquis des expériences menées depuis 2013 sont prometteurs à cette fin à la lumière des informations émanant d’Andriamihamintsoa Rasamoely, un membre du Groupe de travail Bambou Madagascar, lors d’une conférence-débat organisée le 10 septembre dernier.
Les réalisations sont en effet assez parlantes : 3 Common Production and Training Centers (CPTC) en place, 937 pépiniéristes formés, 145 pépinières installées, plantation sur 105 ha, 292 822 jeunes plants distribués, 20 000 jeunes plans produits in vitro, 7 espèces diffusées et 7 dômes de charbon créées à titre expérimental.
Témoignage
Le Centre de recherche appliquée au développement rural (Fofifa), pour sa part, propose de gérer les ressources génétiques, au moyen de sa banque de gènes.
Mieux encore, 195 micro-entreprises rurales en mobiliers d’école, 350 en meubles et 225 en produits artisanaux – employant chacune en moyenne 5-6 salariés – ont été formées. Six entreprises modèles s’y ajoutent.
Les activités de la PME spécialisée en bambou dénommée Faly Export profitent à plus de 600 ménages ruraux sur le littoral est, selon le témoignage de son patron, Faly Rasamimanana.
Un réseau de conseillers d’entreprise sous la férule de Jean-Yves Razafindrakoto, un expert bambou à la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Antananarivo, est même établi afin de mieux convaincre le patronat malgache à s’orienter vers la filière.
Les avantages professionnels sont tout aussi durables que les produits dérivés de cette plante appartenant à la famille des graminées.
Opportunités
Les CPTC jouent un rôle central dans cette dynamique en termes de transfert de technologie, d’assistance technique, d’introduction de machines-outils et de technique de conservation et de transformation.
Trois unités sont déjà opérationnelles si neuf régions de l’île sont prévues en être dotées prochainement.
“J’ai travaillé les bambous depuis environ 30 ans déjà grâce à des formations dispensées durant quatre par les Chinois”, témoigne un artisan de la banlieue tananarivienne.
Les profits que la filière fait miroiter sur l’île sont tels que des opportunités bien juteuses sont à portée de main pour les investisseurs, les chercheurs et les communautés.
Le Groupe de travail affirme avoir été contacté par le voisin mahorais (Mayotte) qui nécessite quelque 120 000 tonnes de biomasse pour générer de la bioénergie à la place des carburants fossiles.
A l’échelle nationale, les estimations font ressortir un besoin annuel de 170 000 tonnes de bambous en vue de produire du charbon pour un million de ménages car 1,2 kg de ce type de combustible produit 1 kWh d’électricité.
Menacées
“C’est une source d’énergies domestiques propres dont la production préserve nos forêts de la dégradation accélérée”, insiste Paulin, un expert en développement rural.
Les habitants de Madagascar ont en effet un besoin quotidien de 6,6 millions en matière de bois de chauffe et de charbon de bois pour la cuisson, ce qui pourrait accélérer le déboisement de l’île.
“Le temps de cuisson nécessaire est seulement de 17 heures contre 3 jours pour le charbon de bois traditionnel”, renchérit Lydie Raharimaniraka.
Outre les bienfaits des bambous sur le climat, leur plantation sur près de 5 000 ha de bassins-versants aux alentours des plaines de Marovoay, le deuxième grenier à riz de Madagascar, est en route pour protéger 2 000 à 3 000 ha de rizières menacées d’ensablement au moyen de forêts artificielles.
La même initiative est envisagée pour le lac Itasy. Couvrant plus de 3 000 km² de surface sur les Hautes Terres malgaches, il est la deuxième plus grande étendue d’eau continentale de l’île et est ainsi vitale pour des milliers de pêcheurs traditionnels tout autour.
Moins abondantes
Entre-temps, le Centre de développement rural et de recherche appliquée (Fifamanor) à Antsirabe mène un projet de recherche en production fourragère pour le lait en utilisant les feuilles de bambou, trois fois plus rentables que le fourrage classique.
Si l’usage alimentaire voire médicinal de cette espèce végétale est multiple, un mémoire de DEA sur la fabrication des planches de bambou est en préparation à l’Ecole supérieure des polytechniques d’Antananarivo.
Malgré tout, les principaux acteurs de la filière eux-mêmes reconnaissent que les ressources disponibles au pays restent bien en deçà des besoins identifiés.
“Je me souviens bien que les bambous faisaient dans les années 1990 l’objet d’une campagne intense chez nous. Puis, l’élan s’estompait. Les réserves sont maintenant de moins en moins abondantes. Ces plantes sont chez nous plus ou moins menacées depuis je ne sais pas quelle époque exactement. Il existe également des espèces invasives à surveiller de près”, avertit Juvet Razanamaherizaka, directeur de la Recherche et de l’Innovation à Madagascar et non moins un enseignant-chercheur à la mention biologie végétale.
Désillusion
Pour remédier au manque, des plantations à petite et à moyenne échelle sont lancées dans des régions exposées au risque d’insécurité alimentaire à l’exemple du projet initié par les Hollandais dans l’Anosy où 30 ha d’un millier visé sont déjà plantés.
Un programme en faveur des 100 femmes par chacune des neuf régions sélectionnées aussi est en cours d’exécution.
L’engagement de Madagascar vis-à-vis de l’African Forest Landscape Restoration de restaurer 2,5 millions d’hectares de forêt d’ici 2020 et 4 millions d’hectares d’ici 2030 est une autre perspective à considérer.
Nirina Rabemanantsoa, un chercheur en sciences sociales affilé au Fofifa abonde dans la préparation psychologique des gens.
“Une bonne communication est requise pour prévenir la désillusion des paysans car ce n’est pas du jour au lendemain qu’ils cueilleront le fruit de leur labeur en s’investissant dans les bambous”, suggère-t-il.
Près de 40 % des jeunes plants peuvent mourir et ceux qui poussent sont exploitables à partir de 3-4 ans sur une durée moyenne de 25 ans.