Dr Brou Nicolas est sociologue et par ailleurs membre du réseau pour l’environnement et le développement durable en Afrique (Redda). Dans cet entretien réalisée par Aïssatou Fofana, il explique comment améliorer les productions agricoles en dépit des effets du changement climatique.
ClimateReporters: Comment doit-on comprendre les changements climatiques ?
Dr Brou Nicolas: La problématique du changement climatique est vaste, complexe et multiforme à la fois. En termes plus simple, il s’agit de la forte variabilité du climat entrainant ou occasionnant des modifications dans les saisons de pluie par exemple, si nous prenons l’exemple dans une zone de production agricole. L’on parle plus aujourd’hui du « Dérèglement climatique ».
ClimateReporters: Comment s’opèrent-ils ?
Dr Brou Nicolas: Le changement climatique se traduit par un décalage des saisons. On peut, par exemple retrouver de fortes pluies à une période de sécheresse occasionnant des inondations. C’est le phénomène de fonte des glaces dû à ce qu’on appelle le réchauffement climatique. Le changement climatique se manifeste à plusieurs niveaux dont l’un des éléments clés est l’augmentation de la température moyenne de notre planète terre atteignant quasiment 1°C par rapport à la température de celle d’avant l’ère préindustrielle.
ClimateReporters: Quelles sont les causes de ces changements climatiques ? Etant donné que c’est un phénomène récurrent dans tous les pays.
Dr Brou Nicolas: Le phénomène de changement climatique existe de tout temps. Mais avec la révolution industrielle au 18e Siècle, la température moyenne de la Terre a commencé à s’élever. Dans les années 70, la communauté internationale à attirer l’attention de sur la question du risque que courre notre planète. Depuis ces dix dernières années, les impacts de la dégradation de l’environnement sont visibles. Il y a donc des phénomènes naturels mais il y a aussi l’action de l’homme, certaines pratiques ou des activités humaines qui contribuent dangereusement aux changements des climats.
Au cours de votre communication lors du salon africain du développement durable les 10, 11 et 12 septembre dernier à l’Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody (Abidjan), vous avez évoqué certaines pratiques agricoles qui ont une incidence sur les changements climatiques. Pouvez-vous nous en donner quelques détails?
Nos parents, au village vont au champ. Ils cultivent la terre, pour leurs besoins alimentaires et pour le commerce. Donc la pratique agricole a toujours existé. Lorsque l’homme est sorti de l’état de vagabondage avec les questions de chasse, etc. Nos parents avaient une manière de pratiquer l’agriculture. Ce qui leur permettait de maintenir la terre dans un état normal, stable de production et à longue durée.
Dans l’optique d’accroitre le rendement de nos terres, nous avons lancé la production à grande échelle. Ce qui a eu pour conséquence une exploitation intensive de notre terre qui a conduit à la destruction du couvert végétal. Ce qui aura un impact sur l’environnement puisque la pluie ne va plus venir de façon régulière. L’exploitation extensive est due à l’utilisation de certains produits phytosanitaires. Ces produits, selon des règles d’utilisation prescrites doivent aider à un meilleur rendement. Malheureusement, mal utilisés, ces produits contaminent les sols.
Ce qui entraine une certaine dégradation de notre environnement. En résumé, ce ne sont pas les pratiques agricoles en tant que telles qui influent sur les changements climatiques, mais ce sont plutôt les moyens utilisés qui ont une incidence sur les changements climatiques.
ClimateReporters: Quelles sont les conséquences de ces changements climatiques sur l’agriculture ?
Dr Brou Nicolas: En ce qui concerne l’agriculture, on parle de sécurité alimentaire. Les changements climatiques vont avoir un impact sur notre consommation alimentaire. Si le cycle de pluie n’est plus respecté, si la production est en baisse, il va sans dire que les populations vont en souffrir. C’est une conséquence à la fois sociale, économique et environnementale.
Cela va également créer ce qu’on appelle des conflits environnementaux. Par exemple : je n’ai plus de terre cultivable parce que le climat a changé. Ce qui a eu une répercussion sur ma production. Je vais donc commencer à exploiter au-delà de ce qui m’est permis, d’où l’origine les conflits fonciers.
ClimateReporters: L’agriculture est au centre des discussions sur les changements climatiques. Quelles pratiques pourraient adopter les agriculteurs pour contribuer à l’amélioration de notre environnement ?
Dr Brou Nicolas: Les études sont menées actuellement pour le développement de ce qu’on appelle une agriculture durable. D’aucuns parleront d’agriculture intelligente. Elle consiste à réduire l’utilisation de certains produits comme le méthane, de l’émission de certains gaz polluants. Il faut favoriser l’utilisation du biogaz, la récupération des biomasses pour les réinvestir dans l’agriculture.
Il y a aussi une autre activité qu’on appelle ‘’assainissement écologique’’, fertiliser et enrichir nos sols en utilisant nos urines et nos fèces (les selles). Ainsi, nous pouvons utiliser ces éléments moins dégradants pour notre environnement. Ce qui va améliorer les productions agricoles.
ClimateReporters: Concrètement, comment utiliser nos urines et fèces pour améliorer les productions agricoles ?
Dr Brou Nicolas: L’utilisation des fèces et des urines est possible à condition de suivre rigoureusement un procédé très simple que je peux résumer ainsi :
Tout commence avec la mise en place de latrines spéciales qui permettent la séparation des urines et des fèces au moment des selles. Les fèces ne doivent pas être en contact avec de l’eau : ce qui impose d’avoir une fosse septique sèche.
On peut aussi avoir des urines directement grâces à la mise en place d’urinoirs spéciaux qui permettre de recueillir les urines de manière à ce qu’elles ne soient pas exposées à l’air libre. Les urines sont ensuite stockées dans des fûts de grandes capacités bien fermés afin d’éviter la contamination par l’aire. Ces fûts seront installés aux abords ou dans les champs.
Il est important de souligner que l’utilisation n’est pas immédiate. Après un temps d’hygiénisation, l’urine peut être utilisée pour la fertilisation des sols à partir d’un système de goutte à goutte. C’est un mécanisme fait de tuyauterie percée de petits trous à égal distance. Cela facilite l’enrichissement du sol à dose bien contrôlée, par conséquent une fertilisation contrôlée.
ClimateReporters: A la lecture de la situation, pensez-vous que la Côte d’Ivoire peut atteindre un développement durable ?
Dr Brou Nicolas: C’est un défi. Vous savez, parmi les nombreux challenges à relever pour un développement durable, l’agriculture a une place de choix. Oui, nous avons bon espoir. C’est pour cela que nous parlons d’agriculture durable, intelligente. Rien n’est facile, mais c’est un défi. Arriver à répondre à la question de la sécurité alimentaire serait d’un soulagement pour nous tous.