Par Didier Hubert MADAFIME
Sans nouvelle igname, difficile de parler de la fête du 15 aout à Savalou. Mais cette fête a failli être gâchée cette année par la rareté de tubercules d’igname due principalement à la mauvaise saison des pluies. On s’est pourtant arrangé pour que la fête ait lieu même si elle a manqué de saveur à cause de l’absence quasi totale du met local « agou », igname pillée, qui reste et demeure le fondement de cette fête, célébrée depuis des décennies.
Les savalois, les natifs de savalou, cette localité, située à près de deux cent kilomètres de Cotonou, la capitale économique du Bénin, célèbrent tous les ans, la fête de la nouvelle igname.
C’est ainsi, le 15 aout de chaque année, depuis des lustres. Un grand rendez-vous qui mobilise, bien sûr, ceux qui sont concernés par cette culture, mais en plus, à cette occasion, la ville de savalou attire du monde.
Visiteurs, touristes et autres se déplacent, non pas seulement, à cause des attraits touristiques de cette région mais c’est aussi le lieu, pour ceux qui adorent la vraie igname pillée de se donner rendez-vous pour satisfaire leur appétit, la localité étant réputée comme le coin où ce met peut être consommé avec satisfaction.
Selon un jeune confrère, Achille Fatondji dont la région natale est proche de savalou, « l’origine de cette fête remonte loin. Elle était une opportunité pour les ancies, d’ffrir les premières récoltes à leur Dieu, en signe de reconnaissance et de gratitude».
Célébrée en décembre, elle a été ramenée en aout, explique un fils de savalou, Tobias Gbaguidi, Coordonnateur Régional de l’ONG Racine, pour qui le mois d’aout coïncidait avec la disparition sans raison des enfants. Donc, la nouvelle igname offrait également une opportunité de prière en même temps pour la bonne santé des enfants.
Mais, de tout temps, les paysans ont toujours compté sur le ciel pour assurer chaque année le renouvellement de la récolte. Malheureusement, cette année-ci, la pluie n’était pas au rendez-vous. Une première pluie, une deuxième et une grosse qui a failli tout emporter et plus rien. Igname, maïs, haricot, sorgho n’ont pas pu connaitre le développement qu’il faut.
« Je n’ai pas pu acheter la dernière fois l’igname, me disait Emmanuel Agnidé Lawin, Docteur en hydro météorologique et Professeur à l’Université d’Abomey-Calavi, parce que les tubercules sont trop petits ». Et il ajoute, « ça risque d’être une première mise à l’épreuve du prochain Président de la République, si la période de soudure prend assez trop de temps. Donc, avis aux candidats à l’élection présidentielle de 2016 pour que dans leur programme figure les stratégies pour apporter une réponse aux difficultés auxquelles feront face les populations en matière de sécurité alimentaire ».
Sur les principaux marchés du Bénin, c’est la panique. Les prix du tubercule d’igname a presque triplé. Vendeurs et acheteurs constatent un matin la flambée des prix. « A la même période l’année passée, le marché était déjà inondé de sacs d’igname », explique Alazar Akintola, vendeur d’igname, à Dantokpa, le grand marché de Cotonou.
« Vous le constatez de vous-même, il n’y a pas suffisamment d’igname cette année, conséquence, le prix d’un tas de trois ignames qu’on vendait à mille (1000) francs est aujourd’hui cédé à deux milles (2000) ou à deux mille cinq cent (2500) francs».
Difficile alors pour les mordus de « agou », de manger à leur aise, l’igname pillée, à la fête de l’igname de cette année. C’est le client qui trinque et Collette Hounkpatin, rencontrée dans le marché Ganhi, toujours à Cotonou, se demande ce qu’elle peut faire pour gérer son foyer, dans ces conditions ou tout a augmenté de prix. Le maïs, le gari, le haricot, aucun produit vivrier n’a été épargné. C’est toutes les cultures qui ont été affectées cette année par le manque d’eau. Elles n’ont pas bénéficié de la quantité de pluie qui leur faut pour exprimer leur productivité.
Du coup, un vent de panique s’est aussi emparé des paysans qui constatent à leur corps défendant, que leurs différents projets pour cette année sont hypothéqués. Emmanuel Mouzou, producteur et cultivateur, comme il se plait à se présenter est amer. « J’ai semé dès les premières pluies et juste après, il y a eu une rupture des pluies et j’ai perdu mes premières semis.
J’ai repris avec les dernières pluies mais à la fin j’ai noté un faible rendement. J’attendais 1, 5 tonnes pour le maïs à l’hectare mais je n’ai récolté que huit cent kilogrammes ». Mais, dans un cas comme dans l’autre, la situation est très grave. Qu’en sera-t-il alors de la fête de la nouvelle igname si à cause de l’absence de pluie la production d’igname disparait ? Il n’y aura plus de fête. Cette culture aura disparu ainsi. Cela montre, tout de même, la vulnérabilité de la société humaine au changement climatique. Nos valeurs, nos cultures et nos coutumes en seront affectées.
Pour l’heure personne ne veut réfléchir à cette éventualité et chacun considère la situation de cette année comme un accident de parcours. La solution ridicule que propose, chaque fois le gouvernement, en pareille circonstance, est d’organiser des séances de prières dans les églises, temples et couvents pour faire tomber la pluie. Le ciel risque de rester sourd à cet appel parce que cela ne suffira pas.