La fraude fiscale des multinationales fait perdre des dizaines de milliards d’euros par an aux pays pauvres. Mais les acteurs du financement du développement, réunis depuis lundi à Addis Abeba, peinent à s’entendre sur les moyens d’enrayer cette évasion.
Plusieurs chefs d’Etat africains ont exigé lundi, au premier jour d’une conférence internationale sur le financement du développement dans la capitale éthiopienne, de nouvelles normes fiscales mondiales. Mais les pays riches refusent leur proposition d’un organisme fiscal international sous l’égide de l’ONU.
“Les flux illicites et l’évasion fiscale font perdre entre 30 et 60 milliards de dollars par an à l’Afrique. C’est plus que le montant de l’aide publique au développement”, s’est exclamé le président sénégalais, Macky Sall.
“Un régime d’imposition internationale fort est crucial pour éradiquer la pauvreté. Nous voulons un accord sur la fiscalité à Addis”, a renchéri son homologue kényan, Uhuru Kenyatta.
Les pays en développement, emmenés par le groupe du G77 qui rassemble 134 nations, veulent mettre un terme aux transferts de bénéfices permettant aux multinationales d’échapper à l’impôt dans les pays dans lesquels elles opèrent, souvent en ayant recours à des paradis fiscaux.
Ces pratiques font perdre chaque année près de 100 milliards de dollars en recettes fiscales aux pays en développement, selon la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (Cnuced).
“C’est du vol! Ce système permet aux riches multinationales de dévaliser les pays pauvres”, dénonce Winnie Byanyima, directrice exécutive d’Oxfam.
Le géant industriel américain “Caterpillar qui emploie près de 30% de son personnel en Asie et en Afrique et réalise 30% de ses ventes en Asie et en Afrique, n’y a enregistré que 1% de ses profits. 80% de ses profits sont partis dans des paradis fiscaux. Nous devons combler ces failles”, ajoute-t-elle, citant une enquête du Sénat américain.
‘Promesses pas tenues’
Le G77 propose de créer un organisme intergouvernemental de coopération sur les questions de fiscalité, sous l’égide de l’ONU. Cet organisme serait chargé d’établir de nouvelles règles mondiales sur l’évasion fiscale, la propriété réelle des entreprises et les échanges de renseignements fiscaux.
Pour l’heure, les normes internationales en matière fiscale sont développées au sein de l’OCDE, “club de pays riches” au sein duquel les pays en développement se plaignent de ne pas avoir droit à la parole.
La création d’un organe fiscal onusien a reçu le soutien de nombreuses personnalités de la société civile comme le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, mais elle se heurte à l’opposition des pays de l’OCDE qui refusent de voir cette proposition figurer dans le document final du sommet d’Addis, pour lequel les négociations sont toujours dans l’impasse.
“Les pays avancés ont fait des promesses sur l’aide au développement qu’ils n’ont pas tenues. Ils ont fait des promesses sur le financement (du changement) climatique qu’ils n’ont pas tenues. Au moins, s’ils ne donnent rien, qu’ils n’empêchent pas les pays émergents et en développement de collecter l’argent qui leur revient de droit”, a réclamé Joseph Stiglitz.
L’OCDE a déjà développé un programme baptisé “érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices” pour prévenir l’évasion fiscale des multinationales. L’organisation soutient également l’envoi d’experts fiscaux pour améliorer le recouvrement de l’impôt.
Un nouvel organisme onusien serait “redondant”, estime Pascal Saint-Amans, directeur fiscal de l’OCDE. “Un comité de l’ONU se transformera en forum de discussion où les pays feront valoir leur point de vue, mais rien n’avancera, c’est certain. Le monde a vraiment besoin d’un ensemble de règles. Dans un comité onusien avec 200 pays et autant de législations fiscales et sans aucune dynamique, on ne peut pas y arriver”.
Mais pour les pays en développement, le refus de l’OCDE de les inclure dans les discussions pour définir les moyens de lutter contre l’évasion fiscale s’apparente à une volonté de protéger leurs multinationales.
“Quand une multinationale canadienne, américaine, britannique ou française arrive en Afrique, il y a toujours un gouvernement qui l’accompagne. Au point que l’aide va souvent de pair avec un accès aux marchés pour leurs entreprises”, constate Léonce Ndikumana, professeur de l’Université du Massachusetts Amherst et ancien directeur de recherche à la Banque africaine de développement.
“Les pays donateurs doivent donner plus de liberté aux pays africains pour leur permettre de négocier avec les multinationales sans trop de pression politique”.